«Depuis deux ans, notre mission n'est plus la même. La priorité n'est pas de nous consacrer aux malades, de les soigner, de mettre en place des actions et protocoles pour les accompagner, les aider à guérir ou à vivre le mieux possible leur maladie», s'attriste Lisa V., 37 ans, infirmière à l'hôpital Rangueil de Toulouse.
«Non. Aujourd'hui, notre tâche est de répondre à des impératifs de fonctionnements, à des problématiques budgétaires, poursuit la jeune femme. On nous demande d'assumer des tâches qui sont bien loin de la formation que nous avons reçue et qui, normalement, incombe à d'autres personnels. Mais, par manque d'effectifs nous sommes contraints de les assurer. Plusieurs fois par mois, je suis ainsi affectée à l'accueil des visiteurs. Je deviens une hôtesse qui n'accompli plus aucun acte de santé».
Lisa travaille à quelques mètres du bureau de cet infirmier qui s'est suicidé il y a quelques semaines. «Ça nous a fait un choc. On n'a pas perçu sa détresse. Quand je passe devant cette pièce, je sens monter une tension en moi, je ne peux m'empêcher de penser à ce qui s'est passé là. Comme beaucoup on finit par s'en vouloir de ne pas avoir pu empêcher ça. On doit faire avec et chacun gère ça comme il peut».
Après ce drame, la direction a rédigé une note pour faire savoir au personnel qu'une cellule d'écoute était à leur disposition s'ils avaient besoin de parler, d'être accompagnés pour surmonter cette épreuve.
Mais cela ne contente pas Lola :
«Aujourd'hui, nous sommes des pions. On a cassé le travail d'équipe, quasiment interdits les projets collectifs visant à améliorer le quotidien du patient. Et lorsque l'on fait remonter un dysfonctionnement préjudiciable aux malades, on nous invite à nous taire, à ne pas faire de vague. Ceux qui osent l'ouvrir sont rappelés à l'ordre et, souvent, victimes de remarques et même de menace de la part de la hiérarchie. C'est pourquoi les infirmiers qui ne sont encore que contractuels et en attente d'une titularisation n'osent pas s'exprimer».
Comme pas mal de ses collègues, Lisa ne «voit pas d'avenir dans tout ça». C'est pourquoi, «usée et démotivée par cette gestion humaine désastreuse, sans ambition et dangereuse pour le malade», elle envisage de partir «avant de sombrer dans la morosité, la dépression et peut-être même pire comme c'est le cas pour mal d'autres».
«Je vois trop de collègues rongés par l'absence de sens donné à leur travail. Certains sont totalement dévastés et se sentent inutiles alors qu'ils aiment leur métier et sont à même d'apporter beaucoup à l'hôpital».
Comme un jeu lugubre, des collègues de Lola, s'interpellent régulièrement pour se dire :
«Alors c'est qui le prochain. T'est sûr que ce ne sera pas toi qui va craquer et te flinguer ?».
Lisa a décidé de reprendre ses études pour «partir d'ici et retrouver son enthousiasme». Mais, là encore, l'hôpital a cassé ses espoirs. «Je devais suivre une formation d'assistante de recherche mais, au dernier moment, son financement a été annulé».